Vous connaissez certainement déjà Maloud. C’est une des rares lectrices qui soit sortie de son anonymat pour laisser des commentaires, souvent pertinents, sur un certain nombre de nos blogs. Notre “étrangère sans blog”, comme elle le dit elle-même, m’honore aujourd’hui de sa confiance en me donnant un texte sur les livres qui ont accompagné sa vie. Je la remercie d’autant plus que, venant d’une autre culture, elle nous ouvre d’autres perspectives et de nouveaux horizons de lecture.
Je la laisse parler, dans le joli français qui est le sien.
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25 de Abril
Esta é a madrugada que eu esperava
O dia inicial inteiro e limpo
Onde emergimos da noite e do silêncio
E livres habitamos a substância do tempo
Sophia de Mello Breyner Andresen
Tu connais le Crayon Bleu? Non, Gracianne, tu connais des crayons bleus. Le Crayon Bleu était l’instrument de la censure sur la presse et la littérature. La « loi » donnait à des colonels souffrant d’analphabétisme fonctionnel le pouvoir discrétionnaire de le manipuler. Tous les articles des journaux, tous les livres avant d’être publiés étaient revus par "la Commission Nationale" de Censure qui a été baptisée d’Examen Préalable, quand notre «sauveteur » est tombé de la chaise. Il y avait des fous qui osaient échapper à ces défenseurs patriotiques et publiaient des livres qui pourraient corrompre le bon peuple portugais. Mais personne ne trompait ces fonctionnaires zélateurs et tout de suite ils visitaient les éditeurs et les libraires et vidaient les étagères honteuses. Un jour tout ce monde s’est effondré. Et nous, ingrats, nous ne nous sommes pas précipités vers les librairies. Nous étions les acteurs de la plus belle pièce de notre Histoire qui se jouait dans les rues. Et pendant presque deux ans on a vécu dehors. L’avantage du sud et de la jeunesse. Quand le rideau est tombé, j’ai recommencé à lire.
les 4 livres de mon enfance
Je ne savais pas lire et j’écoutais ces histoires universelles de Cendrillon, Blanche de Neige, Petit Pouce … et je les suivais sur les livres avec des couleurs merveilleuses. Quand j’ai appris, je lisais les journaux, car je connaissais tous mes livres par cœur. Lire le journal c’était lire le monde, car mon père m’expliquait les entrelignes. Mon premier livre a été O Rapaz de Bronze écrit par Sophia de Mello Breyner Andresen, poétesse portugaise, qui en 74 a publié le plus beau poème sur le 25 Avril. Mon père était un de ses fidèles et m’a encore offert Fada Oriana et Menina do Mar. Déjà adolescente j’ai lu d’autres histoires pour enfants et les miens ont grandi lisant Sophia. Je crois qu’elle est traduite et je recommande vivement. Mais je voulais lire adulte et chez-nous il y avait une bibliothèque où figuraient beaucoup d’œuvres proscrites {connaître des libraires donnaient des fruits}. Et là, j’ai fait la connaissance avec Eça de Queiroz, écrivain portugais réaliste, quelques néo-réalistes {la plupart étaient interdits} et Jorge Amado, écrivain brésilien. Encore enfant j’ai eu le premier contact avec le français. Et j’étais bonne élève. Pour me stimuler on m’a offert le Petit Prince et Poil de Carotte. J’ai lu peut-être deux pages du Petit Prince et j’ai dévoré Poil de Carotte. À 14 ans j’ai découvert ce monstre détesté de tous les étudiants portugais, Luís de Camões et c’était le coup de foudre. Encore aujourd’hui il m’accompagne. Oups! Je ne peux pas parler de Tolstoi, ni de Dostoyevsky, ni de Carlo Levi... Dommage!
les 4 écrivains que je lirai et relirai encore
Orwell à mon avis devaient figurer obligatoirement sur touts les programmes d’enseignement, sinon un jour 2+2=5. Les premiers
Milan Kundera m’ont fasciné. Il y a deux ou trois années j’ai eu ma période
Malouf et pour m’aider à comprendre la haine je suis tombé sur Le Jardin de Badalpour de
Kenizé Mourad. Mais il y a un auteur portugais que je mets au sommet. Non, ce n’est pas le Nobel
Saramago. Il est intéressant, mais prévisible. C’est
António Lobo Antunes. Il est traduit partout. Pauvres traducteurs !
les 4 auteurs que je n’achèterai ou n’emprunterai probablement plus
Michel Houellebecq, Agustina Bessa Luís {elle existe en français} et Paulo Coelho. Les deux premiers j’ai déjà lu. Agustina est une femme intéressante, très lucide et ironique, mais son style m’agace un peu. Houellebecq adore choquer, mais je n’aime pas qu’on me pousse. Paulo Coelho je n’ai jamais lu. Les sujets de ses livres ne m’intéressent pas. Et encore Somerset Maugham, car on ne le lit qu’une seule fois et j’ai lu tous ses livres.
les 4 livres que j’emporterai sur une île déserte
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Les œuvres complètes de Camões, Eça de Queiroz et António Lobo Antunes. Je triche, mais je ne veux pas me suicider. Et toute la saga Boussardel de Philippe Hériat. Ça c’est le choix le plus personnel. Les Boussardel c’est ma famille, sans le sens d’humour et quelques folies. Mes cousins plus âgés m’appellent Enfant Gâtée. Comme ça. En français.
les 4 {X 4} derniers mots d’un de mes livres préférés
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« …vers les vignobles du Piémont, et cet avenir mystérieux d’exil, de guerre et de mort qui alors m’apparaissait à peine comme un nuage dans le ciel sans limites » Carlo Levi « Le Christ s’est arrêté à Eboli »
les 4 premiers livres de ma liste de livres à {re}lire
Le dernier, traduit en portugais, de Philip Roth {j’ai commandé et je ne me rappelle plus du titre}, « Expiação » de Ian Mcewan, « O Livro de Hitler » Henrik Eberle et Mathias Uhl {orgs.} et « A República dos Corvos » José Cardoso Pires {le seul que je n’ai pas lu de ce merveilleux écrivain mort il y a peu d’années}
les 4 lecteurs {de Gracianne} dont j’aimerais connaître les 4
Mamina, Senga, Claude-Olivier et Elvira qui ne me pardonnera jamais ne pas citer Pessoa.