Pierre était génial. Fou aussi, invivable, exalté, fantasque. Mais génial. C’est lui qui m’avait appris l’aïgo boulido et la ratatouille.
C’était dans cet appartement de la rue de Montholon que j’aimais tant, un grand appartement un peu sombre au charme ancien, des velours bruns, des tableaux, des livres, des trumeaux sur les cheminées du grand salon toujours désert.
Vivaient là Suzanne, la grand-mère, qui faisait des confitures extraordinaires, toujours épicées de gingembre, de cannelle ou de badiane ; Kamel, l’étudiant algérien de la chambre de bonne du 7ème, qui mouchetait la cuisine des taches rouges de ses plantureux couscous ; Caroline, l’étudiante messine, qui ne cuisinait pas grand-chose mais m’avait fait découvrir le goût d’une vraie choucroute chez sa grand-mère alsacienne, et mon amie Sibylle, petite-fille de la maison, étudiante en hypokhâgne et pianiste, qui invitait là tous ses amis.
Dont Pierre, le nîmois, flûtiste et étudiant en chinois, grand amateur de Charles Trenet et toujours prompt à s’enflammer en discours politiques ou philosophiques. En vrai méridional, il m’avait fait ce jour là un cours sur la ratatouille, avec l’accent.
La ratatouille, c’est un plat pour gens patients, ça demande une attention constante, une présence dans la cuisine. Il ne s’agit pas de fourrer les légumes tous ensemble dans une cocotte et de fermer le couvercle, non, mais de cuire les légumes un par un, de les confire lentement, si possible dans la même poêle pour qu’elle garde le suc des cuissons successives. Ensuite seulement, on pouvait les mêler, délicatement, toujours dans la même cocotte qui avait servi à les confire, avant de rajouter les tomates, les épices et les aromates, et de laisser compoter, doucement, jusqu’à obtenir la juste consistance.
Ca avait pris des heures.
Je fais toujours comme ça depuis, et j’ai souvent en tête alors l’image de ce grand mec dégingandé qui parlait en agitant les bras, remplissant toute la cuisine, et qui m’a appris, sans s’en rendre compte, à respecter les légumes.
La dernière, faite avec les légumes bio de Belle-Ile, dont des aubergines toutes douces à la peau fine, comme je n’en avais pas mangées depuis longtemps, était particulièrement réussie. Aussi bonne que celle de Mamie ont dit les enfants.
Ratatouille
(pour 4 personnes)
- 2 oignons émincés
- 1 poivron rouge
- 1 poivron vert
- 3 courgettes moyennes
- 3 aubergines moyennes
- 4 grosses tomates mûres
- 3 gousses d’ail écrasées
- Thym, romarin, laurier frais
- Sel, poivre, piment d’Espelette
- ½ morceau de sucre (facultatif)
- 1 cc de concentré de tomates (facultatif)
- Huile d’olive
Emincer les oignons et les poivrons. Couper les courgettes en rondelles et les aubergines en cubes (sans les éplucher). Peler, épépiner et couper les tomates en cubes.
Dans une cocotte à fond épais, faire fondre doucement les oignons à l’huile d’olive jusqu’à ce qu’ils commencent à caraméliser. Réserver. Faire de même avec les poivrons, saler (un peu) et réserver. Toujours dans la même cocotte, faire revenir les courgettes, saler et réserver. Enfin, faire revenir les aubergines jusqu’â ce qu’elles soient bien fondues et dorées. Saler.
Ajouter alors les légumes réservés en mélangeant délicatement, les gousses d’ail, les aromates et les tomates. Eventuellement un peu de sucre et de concentré de tomates si les tomates ne sont pas assez mûres. Laisser compoter doucement pendant une bonne heure à couvert, jusqu’â ce que le liquide se soit évaporé, puis rectifier l’assaisonnement (sel, poivre, piment d’Espelette). Laisser compoter encore cinq minutes.
Je préfère laisser tous ces parfums infuser au frais, et la servir le lendemain, chaude ou froide, elle est encore meilleure.
Oui, je sais, c’est bateau une ratatouille, tout le monde sait la faire. Enfin, tout le monde devrait.
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