C’est sur un caillou volcanique des iles Pontines, au large de Naples, que nous avions eu le privilège de la goûter la première fois, la pastiera, le gâteau de Pâques des napolitains. Et pas n’importe quelle pastiera, mais celle de la Mamma de Salvatore, acclamée de tous les convives quand elle fut présentée à table.
J’en garde un souvenir doré, comme tous ceux que j’ai de ce petit bout de terre. L’air si léger, presque cristallin, chargé d’effluves maritimes. Le parfum puissant du fenouil et de la roquette sauvage, écrasés au creux de la main. Les asperges sauvages poussant dans la garrigue le long des falaises. La roche noire contrastant avec les eaux turquoise de la baie. Les ballades en gommone, l’eau transparente dans les grottes, les yeux fermés sous le soleil d’Avril, la rumeur des vagues et des mouettes. La pizza al taglio partagée sur la plage. L’apéro sur la petite place, toujours généreusement accompagnés de petites choses délicieuses à grignoter, les cris des gamins, les chats partout. Le café arrosé de Sambuca, les oranges et citrons de l’ile pressés en jus délicieux, l’espadon grillé et les vins blancs locaux, légèrement pétillants. Les danseurs de tango vêtus de noir, hiératiques, sur la terrasse au soleil couchant. L’agneau de Pâques cuit au four à pain.
Et la pastiera à la croûte dorée, croquante, entourant une garniture moelleuse, un peu humide, de blé cuit, de ricotta et d’œufs parfumée d’agrumes confits et de zestes, d’eau de fleur d’oranger et de cannelle. Unique dans son genre et symbole de renaissance, un concentré de Campanie.
Ca faisait des années que j’avais envie d’en faire une, d’essayer de retrouver ce goût unique. Avec l’excellente recette d’Edda, et les précieux ingrédients comme le blé cuit, la ricotta fraiche ou les cédrats confits trouvés chez Rap, l’épicerie caverne d’Ali baba d’Alessandra Pierini (merci à elle d’être allée chercher le cédrat confit dans ses réserves), l’exercice était assez réussi.
Mais il m’a manqué la tradition, la connaissance des gestes familiaux, de la juste texture, du dosage des parfums. Il faudra certainement recommencer, ou prendre des cours avec une mamma napolitaine, pour retrouver la pastiera des souvenirs.
Pastiera napolitaine
Pasta frolla (pâte sucrée)
- 250 g de farine ordinaire (T55)
- 110 g de beurre (ou de saindoux)
- 100 g de sucre semoule
- 1 oeuf entier + 1 jaune (70 g environ en tout)
- zeste de citron jaune (facultatif)
- une pincée de sel
Préparation du blé
- 300 g de blé précuit en bocal (à défaut voir note*)
- 450 g de lait frais entier
- 20 g de sucre
- 20 g de beurre (ou de saindoux)
- une pincée de sel
Garniture
- 380 g de ricotta fraîche de brebis bien égouttée (à défaut, un mélange de ricotta pasteurisée et de brousse ou de brocciu)
- 200 g de sucre
- 80 g d'orange confite
- 80 g de cédrat confit
- 3 oeufs entiers, jaunes et blancs séparés (150 g)
- 2 jaunes d'oeuf (40 g)
- zeste de citron et d'orange non traités, cannelle, 30-40 ml environ d'eau de fleur d'oranger
À préparer dans l'idéal deux jours avant (ou la veille).
Préparer la pâte sucrée. Mélanger la farine avec le sucre, le sel et le zeste de citron. Ajouter le beurre en morceaux et travailler du bout des doigts jusqu'à obtenir un mélange sablé (la farine doit recouvrir la matière grasse). Ajouter les oeufs et travailler à nouveau, rapidement de manière à obtenir une pâte lisse et homogène. Former une boule aplatie et couvrir de papier film. Faire reposer au réfrigérateur au moins 3 heures voire toute la nuit.
Préparer le blé. Verser le blé déjà cuit dans une casserole avec le lait, le sucre, le sel et le beurre. Cuire à feu doux (très petite ébullition) pendant au moins une vingtaine de minutes de manière à ce que le blé absorbe le lait. Mélanger de temps à autre. L'ensemble doit toutefois rester crémeux. Laisser refroidir dans un autre récipient.
*Préparer le blé cuit : (si on en a pas du tout prêt) mettre 150 g blé cru dans un bain d'eau pendant 3 jours en ayant soin de changer l'eau tous les jours, matin et soir. Ensuite cuire le blé couvert d'eau jusqu’à ébullition et jusqu'à ce qu'il ait absorbé l'eau. Voilà, il est prêt à être utilisé pour la pastiera.
Pendant ce temps préchauffer le four à 160°C (chaleur statique ou 150°C tournante) et préparer la garniture. Mélanger la ricotta avec le sucre, la cannelle et les zeste d'agrumes, laisser reposer une demi-heure. Couper les fruits confits en petits dés puis les ajouter à la ricotta avec le blé au lait froid. Incorporer les jaunes d'œufs et l'eau de fleur d'oranger.
Fouetter en neige les blancs d'œufs puis les incorporer très délicatement au mélange précédent par mouvement circulaires du bas vers le haut. Couvrir la farce et la garder au réfrigérateur.
Etaler 4/5 de pâte sucrée entre deux feuilles de papier cuisson (ou à défaut sur un plan fariné) à 3-4 mm d'épaisseur environ. L'enrouler sur le rouleau et la dérouler sur un moule à manquer rond en métal de 25 cm de diamètre et 8 cm environ de hauteur, préalablement beurré. Faire bien adhérer aux parois.
Verser la farce (elle sera liquide, c'est normal). Avec le reste de pâte former des bandes et les poser, croisées, sur la farce. Sceller bien sur les bords.
Cuire la pastiera dans le bas du four 40 minutes environ puis la mettre au centre et cuire encore une vingtaine de minutes environ (voire plus). La pâte et la superficie doivent dorer, presque brunir. Eteindre et laisser refroidir dans le four une dizaine de minutes. Déguster la pastiera au moins le lendemain, elle est parfaite 2 à 3 jours après.
Conservation : pour plus de fraîcheur et d'humidité, garder la pastiera au frigo (si elle a bien cuit, elle ne bouge pas)
Notes :
Je n’avais qu’un moule à bords aussi hauts, mais de 22 cm – il vaut mieux d’ailleurs utiliser un moule à charnière pour pouvoir démouler la pastiera. J’ai du allonger le temps de cuisson d’une vingtaine de minutes, et elle était encore un peu trop humide au centre. A affiner donc.
La pâte est très collante et délicate à étaler, malgré les heures de réfrigération. Il faut penser à l’étaler entre deux feuilles de papier sulfurise, puis la mettre ainsi au frigo (ou quelques minutes au congélateur) pour la raffermir avant de pouvoir foncer le moule ou découper des bandes.
16 comments:
Magnifique et sûrement délicieuse!
Bises et bon week-end,
Rosa
merci pour la découverte
Encore un très beau texte qui nous fait voyager !et une belle découverte culinaire ! :)
C'est toute une aventure que de réaliser ce gâteau ! Je crois que j'adorerais le déguster là où tu l'avais découvert , elle est superbe cette photo ainsi que ta description des lieux
Je te crois sur parole ! Elle doit être délicieuse et la déguster devant la mer à mi-chemin de la colline... Un rêve !!!
Maravigliosa. Quelle beauté! Je suis en retard mais beau printemps en Vexin à toi Gracianne. La nature doit être belle chez toi en ce moment.
Bonjour,
Votre présentation des îles Pontines, au-delà d'une très belle et poétique description, est une véritable invitation à partir à leur découverte…
Vous allez même jusqu'à me surprendre avec les danseurs de tango, vêtus de noir… J'aurais plus facilement imaginé, aux portes de l'Italie du Sud, un cercle joyeux de couples virevoltant aux airs d'une tarentelle.
C'est peut-être là un aspect inattendu de l'Europe qui fait communier Ses cultures et Ses traditions.
Mais revenons à la Pastiera… Au regard des photos, c'est un gâteau qui doit faire 7 à 8 cm de haut, avec une texture assez aérienne. Pour éviter le désagrément du cœur encore trop humide, peut-on utiliser le test de l'aiguille à tricoter qui doit ressortir sèche (ou quasiment) du gâteau en fin de cuisson ? La composition de la garniture le permet-elle ?
Au plaisir de vous lire,
Jean-Michel 71
Mon dieu que cette Pastiera est belle. Bravo! Tes photos et le texte me donnent des envies d’ailleurs...
Merci à tous pour vos commentaires enthousiastes. C’est en effet un gâteau particulier qui n’est sans doute jamais meilleur qu’à l’endroit où il est né.
Jean-Michel, les danseurs de tango font partie de mes souvenirs, mais ne sont pas une des attractions typiques de la Campanie ;) Il y avait ce printemps-là un petit morceau d’Argentine en mer Tyrrhénienne.
Pour répondre à votre question, le moule traditionnel est haut, oui, 8 cm environ. Je n’avais qu’un seul moule de cette hauteur, mais il faisait 21 cm de diamètre (ne me demandez pas pourquoi ce diamètre étrange, c’est un moule anglais, qui présente l’avantage d’avoir un fond amovible, utile pour démouler les gâteaux), au lieu des 25 préconisés par Edda. Par contre, j’avais conservé les proportions de l’appareil, et tout le mélange est entré dans le fond de tarte. Il était donc plus épais et j’ai adapté la cuisson en fonction. Je ne suis pas sûre que le test de l’aiguille à tricoter fonctionnerait ici, parce que le gâteau doit rester malgré tout humide, un peu comme un gâteau de riz (un peu moins, c’est difficile à décrire).
Enfin, la texture n’est pas aérienne, bien que le gâteau monte comme un soufflé pendant la cuisson. C’est relativement dense, il vaut mieux en prendre de petites parts ;)
Si jamais cette recette vous tente, allez voir les commentaires chez Edda, sur le temps de cuisson et la qualité de blé à utiliser (surtout pas de l’Ebly parait-il), ils m’ont été assez utiles.
Superbe Gracianne, merci pour le clin d'oeil mais surtout pour tes mots, un bel hommage à ces endroits et atmosphères uniques... Quelle nostalgie !
Je suis d'accord avec toi sur le tour de main et surtout les parfums, cela m'a pris des années (même chose avec la cassata que tu as dans mon livre). C'est des gâteaux finalement faciles à réaliser mais il faut une âme, ces petits je ne sais quoi qui changent tout...
D'ailleurs tu m'as redonné envie, je vais refaire une pastiera, peut-être encore une autre version (dans ma famille il doit y en avoir 10 et toujours en petites évolutions).
Je t'embrasse
Un magnifique gâteau qui a toujours du succès auprès de mes amis quand ils le découvrent. Il demande de le prévoir un peu à l'avance.
Un gâteau qui évolue, une dame qui habite la même rue que mon frère en avait fait une pour nos enfants, avec une couche de Nutella sous la crème ! les dits-enfants ont adoré, nous moins.
Il y a tellement d'arômes, pas la peine de charger.
Mais chez moi la garniture de la pastiera est très très crémeuse. Ma recette glanée donc à Naples indique de faire tremper dans de l'eau 250g de boulgour. Quand il a bien absorbé l'eau - 24 h au moins, en retirer 500g et le cuire dans 700 ml de lait pendant une heure, avec du sel et les zestes d'orange, de citron, de cédrat mais aussi de courge.
Quand on mange on ne distingue plus les grains de boulgour mais seulement les zestes dans une crème.
Chère Edda, merci pour ce gentil commentaire. Tes recettes, et particulièrement celles de boulangerie et pâtisserie italienne, sont toujours aussi inspirantes. Pour la pastiera, j’ai longtemps hésité à me lancer. C’est un gâteau qui, comme tu le dis, a un supplément d’âme. Il faudrait vraiment que je me perfectionne dans une famille napolitaine.
Bonjour, et merci pour votre commentaire – c’est utile de savoir qu’on peut utiliser du boulgour aussi, plus facile à trouver en France que le blé précuit, ou même les grains de blé. Ma garniture était très onctueuse/crémeuse aussi, je l’avais fait cuire très longtemps dans le lait, plus que le temps indiqué sur la recette d’Edda, mais on distinguait les grains de blé. Edda explique que dans certaines recettes on mixe les grains de blé après les avoir cuits dans le lait pour une consistance plus homogène, dans d’autre on ajoute de la crème pâtissière à l’appareil. Tout dépend des familles en fait. Mais la meilleure est toujours celle de la Mamma ;)
Quand vous parlez de courge, ce sont des graines de courge, ou bien de la chair confite ?
J'aime la vie telle que que tu nous la racontes ... Et je saurai désormais quel usage faire de ces drôles de bocaux de blé qu'on trouve au supermarché de Vintimille au rayon pâtisserie ! ;-)
J'ai lu deux fois tes souvenirs, pleins de parfums et de musique. Les photos sont magnifiques.
"Très peu porté sur les sucreries, je reconnais une exception, la "pasteria". Son damier de pâte brisée, sa garniture de grains de blé sont la promesse tenue de chaque printemps. La fin de l'hiver pour moi n'est pas marquée par les vols et piqué des hirondelles, mais par l'arrivée de Naples, dans une enveloppe cachetée
et avec le caractère officiel d'un acte notarie, de la "pasteria" envoyée par mon cousin Mario. Pas de sucre glace , la pasteria n'est pas un pandoro. Le couteau qui entaille sa plénitude fait de moi un Aladin qui frotte sa lampe et en libère le génie. Celui de la pasteria s'approche de la bouche pour écouter le désir impossible de chacun. Le mien une fois par an et sans remuer le lèvres, est de revenir m'assoir à cette table du dimanche, à laquelle personne ne manquait encore
Extrait du dernier livre d'Eri De Luca "Le plus et le Moins" pour toi Gracianne
Gabrielle, merci ! Il a tout dit. Je n’ai pas lu son dernier livre, mais c’est un grand écrivain De Luca. Montedidio a été un de mes livres favoris ces dernières années. J’admire énormément sa prose poétique, toute en sobriété. Un grand. Les napolitains ont du génie. Je pense que je vais acheter celui-ci, du coup.
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